Foule inhabituelle à l’entrée de la mairie du Kremlin-Bicêtre pour ce conseil municipal. Dans le hall, les esprits s’échauffent lorsqu’il devient évident que la police municipale ne laisse accéder à la salle du conseil qu’une quarantaine de Kremlinois parmi lesquels se trouvent une majorité de soutiens du maire Jean-Marc Nicolle. Les autres sont priés de rester dans le hall d’où ils scandent des « démission » sans faiblir. Un écran a été installé pour suivre en direct la séance. Quelques coriaces tentent de forcer le passage bloqué par des policiers municipaux, des coups sont échangés et une mêlée s’improvise dans les escaliers menant à la salle où le conseil est réuni. A côté, d’autres citoyens atterrés par le spectacle brandissent leur téléphone et filment la scène. « Des scènes comme celle-là, c’est du jamais vu, ça contraste avec ce que nous avons connu quand Jean-Luc Laurent était aux manettes », souligne l’une des vidéastes. Au premier étage, dans le public, les participants observent le maire qui s’installe. « Il a l’air encore éprouvé. C’est malheureux ce qui lui arrive », lâche une habitante.
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Le conseil commence par la recomposition des groupes politiques alors que plusieurs élus ont décidé de siéger comme non inscrits. Comme il l’avait annoncé lors de son point presse de la veille, Jean-Marc Nicolle s’exprime sur la mise en examen dont il fait l’objet. « Cette procédure a pu interpeller et amener son lit de questions légitimes auxquelles je souhaite répondre. Depuis ma mise en examen, aucun élément nouveau n’a été communiqué par le parquet. Les auditions des témoins viennent de commencer. Cette enquête repose sur des accusations hasardeuses, des mensonges, mais je crois en la Justice. Pour mettre les choses au clair, j’ai refusé la protection fonctionnelle et assure ma défense sur mes deniers personnels. Je souhaite que la ville se porte partie civile pour qu’elle défende ses intérêts et je la dédommagerai en cas de préjudice. C’est la preuve de ma volonté de démontrer mon innocence. Je n’ai pas abandonné la ville et la gestion municipale s’est poursuivie, il n’y a pas eu, contrairement aux rumeurs qui circulent, de paralysie. Je refuse que mes collègues du Conseil municipal soient mes juges, nous sommes ici pour mettre en œuvre le projet de ville qui répond aux attentes des citoyens », défend le maire, applaudi par le public de la salle, et hué au rez-de-chaussée. Son premier adjoint, Jean-François Banbuck renchérit en tant que président du nouveau groupe resté fidèle au maire, Kremlin-Bicêtre en avant. « Depuis plusieurs semaines, de nombreux conseillers municipaux ont bafoué les principes républicains, électrisant à dessein la population et aboutissant à l’agitation du rez-de-chaussée de notre maison commune. Que cherchent à faire les promoteurs de cette cabale sinon prendre en otage les Kremlinois et fragiliser l’institution municipale. Qui est le candidat clandestin de cette coalition ? Quelqu’un est-il atteint d’une addiction au mandat dissimulé comme une maladie honteuse et qui ne voudrait pas se dévoiler et permettre au MRC de conserver la seule mairie dont il pouvait se prévaloir? », tacle l’élu.
Les élus d’opposition premiers à s’en aller à une exception près
Saïd Hassani (Ex-Modem désormais non inscrit) puis Jérôme Giblin (ex PS désormais non inscrit) demandent chacun la démission du maire, puis, c’est au tour de l’ancien mentor de Jean-Marc Nicolle, Jean-Luc Laurent, président du MRC, de s’exprimer. « Nous attendions ce soir des explications précises sur les motifs de votre mise en examen et pas des faux-fuyants pour éviter de parler du fond. Vous n’avez plus notre confiance, nous ne pouvons plus vous laisser gérer la ville. Je vous appelle solennellement à démissionner et à cesser d’instrumentaliser les Kremlinois ». C’est ensuite au tour de Léa Morgant (LR) et de Bernard Aubague (Modem) de lire une déclaration commune des deux groupes d’opposition (Divers droite et centristes). « Cette affaire de moralité politique inédite pour notre ville nous interroge sur la crédibilité du premier magistrat. Nous assistons à une révolution de palais où les uns excluent les autres et renient leurs idéaux partisans. Quelle indignité que ce jeu de chaises musicales. Nous refusons de participer à cette mascarade que vous nous imposez et refusons de siéger face à un homme qui n’est plus digne », prononcent-ils avant de quitter la salle en traitant de traître le président du groupe divers droite, Pascal Reisser, resté assis et qui s’exprime alors à son tour. « Je déplore ce spectacle affligeant pour les kremlinois, entre guignol et OK Corral, du vaudeville au mauvais western. Je n’accuserai jamais personne sur la base d’articles de presse, remettant en cause nos institutions et le droit à chacun de se défendre. En tant que président du groupe DVD et d’opposition, je continuerai à défendre les Kremlinois en siégeant.»
Rupture consommée au sein de la majorité
C’est ensuite la deuxième adjointe, Geneviève Etienne El Malki, présidente du groupe PS, qui esquisse une réponse au manque de loyauté pointé par le maire et son premier adjoint. « Ce n’est pas être votre bourreau que d’affirmer certains principes. Le doute s’est insinué, les équilibres politiques initiaux sont remis en cause, il est évident que plus rien ne sera comme avant. Notre souhait est de voir le maire se mettre en retrait pour laisser une chance à cette collectivité, qui a travaillé en synergie pendant des années, de poursuivre son œuvre. Nous avons essayé de trouver une solution négociée, il y a plein de conseillers ici qui pourraient occuper les fonctions de maire à votre place mais vous tenez à conserver vos fonctions et nous mettez face à un dilemme insupportable. Ce n’est pas Jean-Marc Nicolle ou le chaos. Nous ne poursuivrons pas cette assemblée.» Et les socialistes de quitter les lieux.
Les communistes prennent ensuite la parole par la voix de leur présidente, Nadia Mersali qui ne manque pas de souligner que contrairement aux autres groupes du Conseil municipal, le sien est resté unis malgré la période troublée et compte toujours 5 élus. « La création de ce nouveau groupe politique (Kremlin-Bicêtre en avant) demande des éclaircissements sur sa ligne politique. L’ordre du jour est un symbole de vous maintenir coûte que coûte et de nous faire adouber un état de fait. Nous vous demandons solennellement de vous retirer ou nous ne participerons plus à ce conseil construit pour nous obliger à voter des délibérations qui pourraient nous être reprochées par les Kremlinois.» Les élus PCF quittent la salle. « Il n’y a plus de quorum, la séance doit être levée », prévient Fabien Guillaud-Bataille, élu PCF, en sortant.
Suivent encore Sarah Benbelkacem et Vincent Rousseau, tous deux ex-MRC, qui ont quitté le groupe de soutien à Jean-Marc Nicolle. Vincent Rousseau indique qu’il s’abstiendra de façon « méthodique » sur toutes les délibérations. « Je crains qu’en cas de maintien, les Kremlinois ne jugent l’affaire Nicolle en 2020 plutôt que notre bilan », lance Sarah Benbelkacem.
De leur côté, Bernard Chappellier a choisi de rester mais s’est dit après coup choqué par la tournure du conseil municipal. « Nous assistons à un règlement de compte entre Jean-Marc Nicolle et Jean-Luc Laurent et demandons à chacun d’eux qu’ils démissionnent. Cette situation de blocage ne peut plus s’éterniser. Soit le maire se retire, soit c’est l’ensemble du conseil municipal qui devra démissionner ».
Les prises de paroles ont été ponctuées par l’intervention de Zohra Sougmi du groupe de fidèles au maire. « Nous vivons une période difficile de grande déception humaine. Comment pouvez-vous balayer d’un revers de main tout ce qui a été fait pour notre ville ? Vous avez la mémoire courte. Ayez confiance en notre Justice et travaillons sereinement et efficacement. Seuls les Kremlinois sont légitimes à demander le retrait du maire ».
Une élection anticipée, Jean-Marc Nicolle dit chiche
Jean-Marc Nicolle a ensuite annoncé la levée imminente de la séance faute de quorum et la convocation pour une nouveau conseil municipal ce lundi où il pourra faire voter ses délibérations même en cas d’absence de la majorité des élus. « J’invite chacun à prendre ses responsabilités. Qui est incohérent lorsque des élus abandonnent leur travail municipal tout en conservant leurs délégations et les indemnisations qui vont avec ? Ayez le courage d’aller aux élections si vous n’avez pas confiance en la Justice. En attendant, les institutions ne sont pas bloquées et le code général des collectivités territoriales prévoit tous les cas de figure pour que nous puissions continuer notre action malgré les blocages », a terminé le maire, avant de venir saluer chaudement ses soutiens dans le public. Un peu plus tard, en aparté, le maire s’est dit prêt en cas d’élection anticipée à être candidat à sa propre réélection.
Bernard Chappellier a d’ores et déjà annoncé que les élus de son groupe ne siégeraient pas au conseil municipal de ce lundi.
Après les départs des élus d’opposition et des conseillers municipaux de certains groupes de la majorité, le quorum n’a plus été atteint et la séance a du être reportée à lundi.